dimanche 29 novembre 2009

L’exigence du scrutin à 2 tours et les implications du boycott de l’élection de 2010

Mao Tse Tung avait dit que «la politique est une guerre sans effusion de sang et la guerre, une politique sanglante». Le nouveau débat ouvert sur la réclamation du mode de scrutin à deux tours est un défi qui s’inscrit dans la logique de la lutte des élites pour le pouvoir politique sous-tendue par la dialectique permanente entre la ruse et la force. On peut disserter sur la légitimité d’un président élu à une majorité relative mais il est ici question de rapport de force. Si le pouvoir RPT accepte les revendications du CAR et de l’UFC c’est qu’il s’est préparé en conséquence et s’est donné une technique de victoire pour contourner l’expression des urnes.

Mais si l’opposition réussit par la pression conjuguée de la mobilisation populaire et de la communauté internationale à faire plier le pouvoir en place, cette victoire constituerait un atout inestimable pour la mobilisation en vue de l’alternance en 2010. Le CAR et l’UFC ont donc tout intérêt à faire en sorte que la CENI accuse un retard énorme dans la préparation des élections, de manière à ce que le délai constitutionnel prévu pour le scrutin soit dépassé. Alors s’imposerait une révision constitutionnelle qui ouvrirait une brèche pour l’exigence du retour à la constitution originelle de 1992. Mais le combat s’annonce périlleux.

Edem Kodjo l’avait prédit

En 1993, bien que l’élection était à deux tours, l’opposition représentée par le COD II s’y était engagée avant de jeter l’éponge en pleine campagne électorale. En 1998, elle est retournée aux élections toujours à deux tours avec les candidats Olympio, Agboyibo, Gnininvi, Ayéva et Kodjo face à Eyadèma.

En Juillet 1999 en plein dialogue intertogolais et à l’occasion de la visite de Jacques Chirac au Togo, Eyadèma avait donné sa parole de militaire en disant qu’il n’allait pas modifier la constitution pour se représenter en 2003 et l’on s’acheminait vers des élections législatives anticipées prévues par l’Accord Cadre de Lomé. Presqu’au même moment s’est instauré en Europe le débat sur la possibilité d’ériger des tribunaux en vue de juger des chefs d’Etat pour violation des droits de l’Homme et crimes contre l’humanité. En octobre 2001 «Jeune Afrique» annonçait dans sa rubrique «confidentiel» que l’opposition togolaise a chargé deux avocats belges en vue d’étudier la possibilité d’une plainte contre Gnassingbé Eyadèma.

Edem Kodjo qui connaît bien le Général président avait redouté qu’un tel débat ne pousse Eyadèma à se maintenir et à mourir au pouvoir de peur de se retrouver devant les tribunaux après avoir quitté le pouvoir. Ce qui ne ferait qu’amoindrir la chance pour l’alternance au Togo.

Le Premier ministre Agbéyomé Kodjo en fils spirituel de Eyadèma s’était alors évertué à ourdir des stratagèmes pour opérer un coup de force, aidé en cela par Fambaré Natchaba alors président de l’Assemblée Nationale. Le tandem Agbéyomé–Natchaba a d’abord dressé des obstacles au fonctionnement de la CENI avant de saisir la cour constitutionnelle aux fins de constater l’impossibilité pour la CENI de fonctionner. Un comité de sept magistrats est alors mis en place en remplacement de la CENI avec à la tête le fameux Pétchélébia Abalo pour pousser l’opposition au boycott des législatives anticipées. Tout naturellement l’opposition ne pouvait que condamner cette forfaiture. Mais voyant venir le danger qui menaçait les forces démocratiques en cas de boycott, la CPP de M. Edem Kodjo, par la voix de son 3e vice président Cornelius Aidam avait déclaré que «l’opposition doit aller aux élections ne serait-ce que pour empêcher le RPT de réunir le quorum des 4/5ème à l’Assemblée pour modifier la constitution».

L’erreur fatale

Pour Edem Kodjo, il est impérieux d’avoir une «minorité de blocage» en vue d’empêcher le pouvoir RPT de modifier la constitution permettant à Eyadèma de s’éterniser au pouvoir. A l’époque, la pression de la communauté internationale et la synergie qu’il y avait entre le CAR, la CDPA, l’UFC, la CPP et le PDR suffisait à mobiliser les électeurs de provoquer un taux de participation record et de minimiser le dispositif de fraude, pour à défaut d’avoir la majorité parlementaire, gagner au moins vingt sièges pour empêcher le RPT d’avoir les quatre cinquième soit 65 députés nécessaires pour modifier la constitution. Mais pour le parti de Gilchrist Olympio , il n’était pas question d’aller à des élections dont la transparence n’est pas assurée au risque de légitimer les manœuvres du pouvoir en place. Gilchrist Olympio étant considéré comme l’opposant immaculé, tout ce qui vient de son parti est une parole d’évangile. L’UFC avait tellement les faveurs de la quasi-totalité de la presse que quiconque oserait aller au travers de ses décisions était accusé d’avoir pris de l’argent chez Eyadèma pour faire le jeu du pouvoir. Ainsi donc à l’unanimité, la presse avait passé Edem Kodjo et son parti, la CPP à la tronçonneuse. La situation créée était telle que le CAR et d’autres partis qui mesuraient aussi le danger que constituait le boycott de ces législatives étaient obligés de se ranger, pour éviter d’être livré à la vindicte populaire.

Les tenants du boycott n’ayant pas d’autre alternative, ne pouvant pas, à défaut de faire reculer le pouvoir, empêcher la tenue de la mascarade électorale, les législatives s’étaient déroulées normalement le 27 octobre 2OO2. Le RPT a eu recours à des candidatures soi disant indépendantes et s’est taillé une «majorité totale».

Il ne restait plus qu’à toiletter la constitution pour permettre à Eyadèma de rempiler. C’est donc au nez et à la barbe des tenants du boycott et de la communauté internationale impuissants que la modification de la constitution est passée comme une lettre à la poste le 31 décembre 2002. Non seulement le verrou de la limitation du mandat du président de la République a été sauté mais aussi le RPT a instauré le mode de scrutin à un tour pour se prémunir contre la menace d’une union sacrée de l’opposition en cas de deuxième tour. Depuis lors, c’est en murmurant que certains acteurs politiques regrettent cette bourde fatale.

Une occasion manquée

En 2003 et en 2005, l’opposition a participé à des élections à un seul tour sans subordonner sa participation aux élections au rétablissement du mode de scrutin à deux tours

C’est en 2006 à la faveur du dialogue intertogolais que la question du mode de scrutin entre autres a été posée dans le cadre de l’exigence des réformes constitutionnelles et institutionnelles. Là aussi, les querelles byzantines entre les partis de l’opposition traditionnelle n’ont pas permis d’obtenir grand’ chose. L’UFC rejeta l’accord politique de base proposée par Agboyibo qu’elle a fustigé et exigea un facilitateur. Et au cours du dialogue intertogolais à Ouagadougou la question des réformes a été rediscutée mais sur la question du mode de scrutin l’opposition n’a obtenu que de vagues promesses.

Ainsi dans l’APG au point 3 .1 il est écrit que «les parties prenantes au Dialogue s’accordent pour que le Gouvernement d’Union Nationale engage les réformes dans un esprit de large consensus». Ces réformes portent entre autres sur le mode de scrutin.

Comme indiqué, il appartenait au gouvernement dirigé par Yawovi Agboyibo d’engager ces réformes. Pour aider le Premier ministre à engager les réformes, il fallait la contribution de tous. Mais non seulement pour des raisons électoralistes l’UFC s’était abstenue de participer au gouvernement de manière à présenter ses anciens alliés comme des satellites du RPT pour se réserver le rôle de véritable opposition mais aussi le parti de Gilchrist Olympio avait engagé une polémique avec le CAR. Les deux partis se sont livrés une guerre implacable ignorant royalement les réformes à engager au grand bonheur du pouvoir RPT qui soutient aujourd’hui que le gouvernement actuel n’est pas qualifié pour engager ces réformes parce qu’il appartenait au Gouvernement d’Union Nationale de le faire et non au gouvernement issue de la majorité RPT.

En outre, il est connu de tous que lorsqu’un accord comporte des imprécisions, il ouvre la voie à plusieurs interprétations.. Comme il avait été proposé au point 1.2.3 l’opposition aurait pu exiger, pour lever toute ambiguïté, que soient précisée la nature des modes de scrutin à verser au débat sur les réformes à mener. L’APG évoque le mode de scrutin sans précision du nombre de tours.

Un cadeau à Faure ?

Ironie du sort, le pouvoir en place clame sur qu’il n’y a rien d’anormal à organiser un scrutin présidentiel à un seul tour en faisant remarquer que le mode de scrutin à un tour et le mandat illimité avaient été établis sous Sylvanus Olympio et premier démocrate togolais. Il est vrai que cinquante ans après, beaucoup d’eau a coulé sous le pont. Mais il serait alors difficile pour le «fils de l’indépendance» Gilchrist Olympio qui déclare être l’héritier politique et biologique du père de l’indépendance et qui donc hérite logiquement du passif et de l’actif de Sylvanus de reconnaître publiquement que ce dernier était illégitime parce qu’il s’était donné un mode de scrutin à un tour. Le débat risque donc d’être houleux. Au RPT on ne semble pas inquiété s’agissant des menaces de boycott. Bien au contraire, on souhaite que l’opposition ne participe pas à cette élection pour se donner l’occase de vaincre sans péril. Le fait d’affirmer systématiquement qu’on n’irait pas à une élection si le pouvoir n’accède pas à sa revendication est donc lourd de conséquence.

Aujourd’hui, la politique de la chaise vide ne constitue plus une arme efficace et la communauté internationale s’en accommode de moins en moins. En cas de boycott, le pouvoir a tout intérêt à ne pas sortir le dispositif de fraude et à opérer en toute transparence. Et comme il est plus facile de construire un monde avec des ‘’si’’, on ne se privera pas de dire qui que si l’opposition avait participé, elle gagnerait l’élection de 2010 et qu’en n’y allant pas , elle a malheureusement offert gracieusement le pouvoir au RPT pour cinq bonnes années encore. La communauté internationale qui a financé le processus électoral n’aura pas suffisamment d’arguments pour condamner le pouvoir pour les beaux yeux de l’opposition qui a préféré le boycott.

Si en boycottant on espère accentuer la crise par un déficit de légitimité tout simplement il faudra alors s’assurer de l’effet que l’arme du boycott aura sur le régime en place. Surtout que lorsqu’ il y a crise les tenants du pouvoir et les réseaux mafieux sont plutôt les premiers à s’en réjouir. Neuf mois de grève générale et illimitée doublés de treize années de suspension de la coopération de l’Union Européenne le tout assaisonné par une campagne intensive de diabolisation visant à isoler le clan Gnassingbé n’ont fait plutôt qu’engraisser les barons du RPT qui se sont insolemment enrichis en dilapidant les ressources de l’Etat. Au nom de la crise, le clan et ses affidés qu’on voulait chasser en impliquant la communauté internationale n’ont pas eu de difficulté à s’approprier l’appareil d’Etat. Lorsque le pays est en ruine et que la misère est à son comble, les populations sont réduites en esclavage. Les membres du clan et leurs alliés se sentent dans leur biotope dans la mesure où rien ne les empêche de vivre dans l’opulence. Ce sont des millions de togolais qui en sont les principales victimes dans un pays où la pauvreté est devenue une arme politique.

L. R

SOURCE : Le Regard IN TOGOFORUM

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