mercredi 18 novembre 2009

Paul Ahyi : « Le simple citoyen interprète mieux mes œuvres »

Paul Ahyi, 79 ans, a été nommé en septembre dernier "artiste de l’Unesco pour la paix" . Le plasticien togolais, aux multiples talents, explique son œuvre, son art, et la manière dont celui-ci est perçu par ses compatriotes. Rencontre.

Après un passage aux Beaux-arts, le togolais Paul Ahyi s’est illustré dans différents domaines artistiques comme la confection de bijoux, la tapisserie, la céramique mais aussi la peinture ou encore la sculpture. Durant sa carrière, l’homme s’intéresse aussi à l’architecture d’intérieur et au design d’objets usuels. En 1961, à Paris, l’artiste a obtenu la Médaille d’or des Métiers d’Arts.

Afrik.com : Où pouvons-nous apercevoir vos oeuvres au Togo et dans le monde ?
Paul Ahyi : J’ai signé de nombreuses œuvres que l’on peut apercevoir à Lomé. J’ai réalisé la décoration sculpturale de la façade de l’hôtel Sarakawa, la décoration en céramique murale de la Banque Centrale des Etats de l’Afrique de l’ouest (BCEAO), un monument à la Banque Togolaise de Commerce et d’Industrie, à coté du siège de la Banque d’Investissement et de Développement de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest). Entre autres, j’ai aussi participé à la réalisation du monument de l’indépendance, qui se trouve dans le centre-ville de la capitale. Mais on en retrouve également hors du Togo. J’ai réalisé, par exemple, une grande sculpture en acajou pour le Vatican, une sculpture monumentale en ciment blanc et céramique en Corée du Nord, à Séoul, et une sculpture en décoration monumentale de 400m2 pour le siège de la CEDEAO à Dakar. Mes œuvres sont souvent très engagées pour ceux ou celles qui peuvent les interpréter, et j’y ai toujours intégré un message de paix. Sincèrement, je ne sais pas combien j’ai d’œuvres au total car j’ai du mal à dire à quelle date j’ai pris conscience que j’étais un artiste à part entière. Depuis mon enfance, je bricolais pas mal de choses, qui peuvent, aujourd’hui, être également considérées comme des œuvres artistiques.

Afrik.com : Vous évoquez vos débuts. Comment votre choix de carrière a t-il été perçu par votre entourage ?
Paul Ahyi : L’art nourrit son homme donc il faut le prendre du bon côté, éviter le plagiat et rendre l’art fonctionnel, c’est-à-dire pour qu’il serve à quelque chose. Mes parents n’étaient pas inquiets du tout. Ils m’ont d’ailleurs beaucoup soutenu. Avant, le dessin était forcément connexe à une autre discipline, et de celui-ci découlait forcément une carrière plutôt noble comme l’architecture, les Ponts et Chaussées, ou l’archéologie, par exemple. De plus, auparavant la matière était enseignée comme discipline principale au collège et au lycée. Je vous parle d’une époque où le dessin était une discipline de base du même coefficient que les autres, ce n’est pas comme aujourd’hui ou c’est considéré comme un cours facultatif.

Afrik.com : D’où un désintérêt des Togolais vis-à-vis de l’art contemporain ?
Paul Ahyi : Pas du tout, c’est le contraire ! Mes œuvres sont bien accueillies par la population togolaise. J’aimerais d’ailleurs que l’Etat encourage la jeunesse à s’intéresser à l’art. En général, j’ai constaté que le simple citoyen qui n’a pas beaucoup été à l’école essaie de les comprendre en s’appuyant sur ses connaissances de base. Souvent, à mon grand étonnement, ils l’interprètent mieux que ceux qui ont fait de grandes études car ils en perçoivent l’essence. L’œuvre d’art ne se borne pas seulement à sa forme visuelle mais sa vision complète doit aussi être prise en compte. Il y a toujours un message subtil. Je me rappelle par exemple d’un paysan qui me questionnait sur une de mes sculptures qui représentait une palme coupée. Il m’a ensuite expliqué, avec raison, qu’il y avait une grosse différence entre la palme coupée, donc immobile, et celle encore vivante puisque rattachée à son arbre. Celle-ci ne peut rester sur l’arbre sans bouger. Ensuite, il a rapproché son explication d’un proverbe togolais qui dit que « dans la vie, rien n’est figé ». Les rôles s’étaient inversés. Moi, l’artiste, je m’étais arrêté au visuel et le paysan me donnait alors une lecture enrichissante de ma propre œuvre. Il est important de lire mes œuvres selon ses héritages culturels.

Afrik.com : Quelles sont vos sources d’inspiration et influences ?
Paul Ahyi : Mon inspiration me vient énormément de l’écoute et de l’observation des autres, d’une manière générale, que ce soit des artistes, ou non d’ailleurs. Aussi, des civilisations comme l’Egypte antique, les Aztèques, les Mayas ou des monuments imposants comme la Grande Muraille de Chine m’ont beaucoup appris. Les œuvres politiques du peintre mexicain Siqueiros [1] m’ont également marqué, ainsi que celles de ses compatriotes à l’instar de Orozco. J’ai également fait l’école des Beaux-arts en France.

Afrik.com : Parlez-nous de vos études là-bas ?
Paul Ahyi : J’ai fait les Beaux-arts à Lyon, puis à Paris à une époque où les étudiants étrangers n’étaient pas vraiment les bienvenus. C’était donc un contexte assez difficile, mais je n’aime pas trop m’y attarder. J’y suis resté durant plus de trois ans. Je me rappelle qu’il y avait beaucoup de concurrence entre les élèves. Je faisais deux toiles différentes lors des cours selon les techniques enseignées car l’art nègre était proscrit par les professeurs de l’école. Une m’était destinée, que je planquais soigneusement, tandis que l’autre était pour le professeur. Cela était interdit et si un enseignant l’avait découvert, j’aurais pu être renvoyé. Il n’y avait qu’un art admis alors nous devions nous y soumettre. Ces derniers avaient droit de vie ou de mort sur nos études. Une plainte de leur part pouvait suffire à nous faire renvoyer de l’école.

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[1] José de Jesús Alfaro Siqueiros, dit David Alfaro Siqueiros, fut un peintre et un militaire mexicain. Il est connu pour ses œuvres empreintes de réalisme social, en particulier ses fresques montrant l’histoire officielle mexicaine et il est l’un des représentant du courant Muraliste mexicain avec Orozco et Diego Rivera. Il fut aussi un activiste politique communiste.

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